Une recherche s’est récemment penchée sur la médiation judiciaire. Menée par Philippe Charrier, Adrien Bascoulergue, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt et Gérald Foliot, l’étude a dressé un état des lieux de la médiation dans les ressorts de trois cours d’appel (Pau, Lyon et Paris). Ses auteurs élaborent des pistes afin de favoriser sa prescription – qui reste pour l’instant limitée – même si elle est devenue une solution privilégiée par le législateur.
par Pierre Januelle 14 mai 2018
La médiation est souvent confondue avec la conciliation judiciaire, le législateur ayant parfois accru cette confusion. La conciliation, qui est gratuite, est exercée par un auxiliaire de justice bénévole. La médiation judiciaire est confiée à un médiateur et reste payante (le coût étant à la charge des deux parties). Si l’on comptait en 2015, 142 100 saisines de conciliateurs et 80 200 affaires conciliées, les conciliations judiciaires étaient moins nombreuses (6 000 en 2017). Concernant la médiation, le ministère de la justice comptabilisait 3 486 envois en médiation en 2017, dont 2 727 dans le cadre de la justice familiale.
Selon les comptages effectués par la recherche, la durée moyenne des médiations est de 6,9 mois. Hors médiation familiale, la médiation intervient surtout en matière de contrats (26,3 %) et de droit du travail (19,6 %). Le coût minimal d’une médiation en matière sociale est de 600 €, un peu plus en matière commerciale. Plus de la moitié des 373 dossiers de médiations conclus consultés par les chercheurs, ont abouti à un accord (52 %).
Le choix de prescrire une médiation se fonde sur plusieurs critères, qui ne sont d’ailleurs pas juridiques :
- La relation entre les parties, notamment lorsqu’elles devront maintenir des liens (famille, partenaires commerciaux, salariés encore employés) ;
- Lorsque le problème juridique n’est pas au cœur du litige ;
- Lorsque des éléments permettent de penser qu’un dialogue peut s’installer ;
- Lorsqu’il y un « aléa judiciaire ».
Les freins à la médiation et les expérimentations en la matière
Une part importante du rapport tourne autour des raisons qui favorisent la prescription de la médiation. Après avoir transmis un questionnaire à plusieurs professionnels, la recherche note un moindre enthousiaste de la part des avocats, alors même qu’ils jouent un rôle essentiel dans l’acceptation de la médiation par leurs clients. Mais pour les chercheurs, cette « posture d’accompagnant n’est pas totalement inscrite dans les habitudes professionnelles des avocats ».
Pour identifier les freins, le rapport s’appuie sur plusieurs expérimentations développées dans différentes cours d’appel. À Lyon, deux magistrats ont proposé systématiquement par courrier une médiation, dès qu’elle n’était pas impossible. Les résultats ont été décevants (9 médiations sur 88 dossiers). Une expérimentation comparable à Paris a été interrompue. Le service des greffes contactait les parties de dossiers sélectionnés à une audience de médiation : sur 980 affaires, les deux parties n’étaient présentes que 124 fois et seules 31 (3 %) ont débouché sur une ordonnance de désignation du médiateur. Il semble que, dans les deux expériences, les avocats aient été un frein à l’acceptation de cette voie.
Une autre expérimentation a été étudiée concernant la cour d’appel de Paris : des permanences de médiateurs sont prévues lors des audiences de fond. Pour des dossiers sélectionnés, le magistrat invite les parties (et leur conseil), à s’informer sur la médiation et l’intérêt de cette voie. Quand les parties rencontrent le médiateur, cela abouti à une médiation dans près de 40 % des cas.
La chambre commerciale de la cour d’appel de Pau propose depuis 2011 une médiation pour certains dossiers sur deux critères : les liens entre les parties et le fait que la solution choisie en première instance ne satisfait pleinement personne. La chambre a créé une unité de médiation. Dès qu’une quinzaine de dossiers sont repérés, les parties sont convoquées à une réunion d’information. À l’issue de cette réunion le magistrat recueille l’avis de chaque partie sur la médiation. Le fait que ce soit le magistrat qui convoque et invite les parties à la médiation, alors qu’il dispose d’une légitimité singulière, favorise l’acceptation.
Pour la recherche, s’appuyant également sur l’opinion des acteurs, la simple convocation par courrier est à proscrire. Pour que les parties choisissent la médiation, il est nécessaire de les convaincre directement : « il semble que la prescription à l’audience soit la plus adéquate, qui plus est si l’avocat est présent ».
Les propositions de la recherche pour développer la médiation
Le rapport préconise de mieux former à la pédagogie de la médiation, notamment en développant des formations pour les prescripteurs de la médiation (magistrats et avocats). Il recommande la constitution d’un outil statistique pour disposer d’indicateurs fiables, permettre un pilotage national et reconnaître l’investissement des personnels. Les chercheurs proposent de professionnaliser l’activité de médiation judiciaire en créant un diplôme ou un référentiel national et en regroupant des associations de médiation.
Enfin, plusieurs propositions de réforme du cadre légal sont émises. Le rapport recommande de « permettre une suspension de tous les délais si une médiation est acceptée par les parties » et de généraliser l’injonction de s’informer sur la médiation (prévue par les art. 255-2 et 373-2-10 c. civ.) à l’ensemble des procédures. Constant que l’échec d’expérimentation avait « pour origine l’absence de contrainte légale permettant non pas d’imposer le processus mais simplement de le proposer », le rapport préconise d’en créer une.
Une voie favorisée par les réformes
La loi J21 avait intégré de nombreuses mesures concernant la médiation : médiation en matière administrative, expérimentation de tentatives de médiation obligatoire (V. Dalloz actualité, 21 févr. 2018, art. M.-C. de Montecler), médiation dans l’action de groupe, liste de médiateurs par cour d’appel. Par ailleurs, l’aide juridictionnelle et le cadre réglementaire ont évolué pour favoriser la participation des avocats à la médiation (V. Dalloz actualité, 5 mars 2018, art. T. Cousette).
Le projet de loi de programmation pour la justice (PLPJ) 2018-2022 poursuit cette voie (V. Dalloz actualité, 28 mars 2018, art. G. Payant). L’article 2 prévoit que le juge pourra désormais enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur en tout état de la procédure (y compris en appel). Surtout, cet article étendra aux conflits de voisinages portés devant le tribunal de grande instance et aux litiges n’excédant pas une somme fixée par décret, l’obligation d’une tentative préalable obligatoire de résolution amiable (par conciliation, médiation ou procédure participative). Depuis la loi J21, cette obligation ne s’imposait qu’aux litiges devant le tribunal d’instance introduits par déclaration au greffe.
L’article 3 introduit dans la loi des exigences pour les résolutions amiables (diligence, compétence, indépendance et impartialité). Il prévoit aussi qu’une solution ne pourra résulter exclusivement d’un algorithme ou d’un traitement automatisé. Cela vise notamment les services de résolution amiable en ligne, qui devront par ailleurs être certifiés.
Mais le rapport de recherche tient à souligner qu’il « ne faudrait pas faire endosser à la médiation des missions auxquelles elle ne pourrait pas répondre comme celle de fluidification de l’activité judiciaire ou de désengorgement des tribunaux ». Toutes les personnes interrogées « ont été unanimes pour préciser qu’il ne fallait pas compter sur ce processus pour répondre à ces exigences bureaucratiques ».