La résolution des conflits au sein des entreprises familiales ne peut s’aborder comme les autres situations. Les liens entre les membres de la famille, leur héritage, leur passé, les relations affectives qui les unissent ou les ont unies sont autant d’éléments différenciants.
Par Pierre Servan-Schreiber, médiateur MediArb
En outre, les aspects juridiques, financiers, patrimoniaux et psychologiques sont intrinsèquement mêlés et affectent simultanément les actifs possédés et le groupe familial tout entier, ajoutant de la complexité là où il y en a déjà beaucoup.
Pour tenter de résoudre de tels conflits amiablement, la médiation est l’instrument le plus utile et le plus efficace.
« Les trois mécanismes permettant de résoudre les conflits interpersonnels au sein d’une famille sont le contentieux, l’arbitrage et la médiation. Les études montrent que la médiation est la seule méthode efficace pour résoudre les conflits dans les affaires détenues par des familles (1). »
Néanmoins, une telle médiation nécessite une approche simultanée des questions des droits et obligations de chaque partie, des contraintes et objectifs propres à l’entreprise ou aux actifs concernés, de la psychologie des personnes impliquées et du système familial dont elles font partie.
Principaux types de différends dans les affaires familiales
Bien qu’il existe une infinité de modèles différents de disputes familiales, on observe qu’elles résultent, dans la majorité des cas, des situations suivantes.
- Succession. Beaucoup de situations familiales bloquées ou pathologiques ont pour origine directe ou indirecte une succession mal organisée, mal gérée ou mal vécue. Prenons un exemple topique. Un inventeur de génie, un commerçant habile, un homme d’affaires inspiré, un patron de presse éclairé, un pharmacien ambitieux, un boulanger de talent ou un chef étoilé (2), crée un groupe important à partir de l’entreprise qu’il a fondée. Au moment de sa disparition, ses enfants se trouvent en désaccord tant sur la stratégie à mener que sur le choix de la bonne personne pour la mener. Certains ne voudront surtout rien changer, d’autres vendre, d’autres enfin développer l’entreprise. Aux divergences stratégiques ou économiques s’ajoutent des considérations tenant au lien familial. Les partisans du statu quo souhaitent, à travers celui-ci, préserver la cohésion familiale que le fondateur a su créer autour de son projet. Les partisans de la vente y trouvent la possibilité pour chaque membre de trouver son autonomie. Les derniers voient dans la réalisation d’un nouveau projet commun, la possibilité pour tous de jouer un rôle important dans l’affaire familiale.
La situation se complique encore lorsqu’il faut décider de la personne qui sera responsable de l’entreprise et de sa conduite. On distingue en général deux grands types de situation. Dans la première, le fondateur a désigné son successeur. C’est le cas de figure le plus favorable. D’ailleurs, il existe de très nombreux exemples de groupes familiaux dont la transition managériale s’est faite sans contestation de la part du reste de la famille (3). Des difficultés apparaissent néanmoins dans bien des cas, notamment lorsque le fondateur, bien qu’ayant désigné son successeur, ne met en réalité rien en œuvre pour lui passer effectivement les rennes. Dans d’autres cas, l’héritier désigné néglige les autres membres de la famille jusqu’à leur donner ainsi toutes les raisons de vouloir quitter le navire et vendre leurs parts. C’est ainsi, par exemple, que la famille Lur-Saluces perdit, au profit de Bernard Arnault, la propriété du Château Yquem qui était pourtant restée dans la famille Yquem puis, par alliance avec un Lur-Saluces, au sein de cette dernière pendant près de quatre siècles ! Enfin, lorsque le fondateur n’a rien décidé, le scénario du pire est le plus probable.
Guerres fratricides.
- La deuxième source de grandes difficultés au sein d’une entreprise familiale vient des disputes au sein d’une fratrie ou entre cousins. Dans de rares cas, la rivalité intervient entre frères dès le début de l’entreprise familiale, donnant parfois lieu à la création de deux entreprises distinctes et rivales (4). Le plus souvent, c’est à l’occasion de la succession du ou des fondateurs que s’affichent les différences, les ressentiments, les oppositions. Le cadet contre l’ainé, le créatif contre le gestionnaire, le mal-aimé contre le chouchou, le premier de la classe contre le talentueux prodigue, etc. autant de titres de romans possibles, autant de situations douloureuses où chacun, voyant midi à sa porte, se sent victime d’un fonctionnement familial qui le défavorise ou qui ne reconnaît pas ses mérites (5).
Lorsque les différends deviennent des disputes, les conséquences sont souvent douloureuses, voire désastreuses, tant pour les protagonistes que pour leur famille au sens large, mais aussi pour l’entreprise elle-même.
Le recours aux tribunaux règle rarement le litige de façon satisfaisante lorsque l’on regarde le groupe familial pris dans son ensemble. Le sentiment éprouvé par ceux qui perdent le procès restera très difficile à guérir. Des liens familiaux seront brisés à tout jamais. Pire encore que la mort de cette cohésion familiale sera sa lente agonie. C’est en effet pendant des années que les batailles judiciaires vont se succéder les unes aux autres, chacune apportant son lot d’accusations, de révélations, de trahisons réelles ou ressenties, de témoignages indélébiles, etc.
Avantages de la médiation
Les avantages de la médiation dans les affaires familiales sont nombreux.
• Confidentialité. Le premier souci des familles concernées est souvent d’éviter toute publicité à leurs différends, de « laver leur linge sale en famille ». Même si cet attachement peut rendre certains membres de la famille rétifs à l’idée même d’une médiation, la confidentialité peut en général être assurée sans difficulté, surtout par un médiateur avocat.
• Durabilité. Puisque, par hypothèse, l’accord auquel aboutit la médiation est le résultat d’un travail en commun entre les différentes parties concernées et le médiateur, les chances qu’il soit respecté de façon pérenne sont fortes.
• Gagnant-gagnant. Contrairement au contentieux qui consacre un gagnant et un perdant (6), la médiation par sa flexibilité même permet de penser en dehors du cadre et de trouver des solutions innovantes auxquelles chacune des parties n’a pas nécessairement pensé par elle-même.
• Coût. En principe le coût d’une médiation reste largement inférieur à celui d’un contentieux. En effet, le coût que représentent les honoraires du médiateur est partagé par l’ensemble des membres du groupe familial concernés. En outre, la médiation dure généralement beaucoup moins longtemps que le contentieux (le plus souvent quelques semaines).
• Préservation du lien. Dans un contentieux, chaque partie a tendance à présenter sa version des faits et ses demandes sous le jour qui leur est le plus favorable et, inversement, à peindre son ou ses adversaires de la façon la plus négative possible. Ces positions accentuent le ressentiment de chacune des parties, rendant d’autant plus difficile non seulement une résolution amiable du différend, mais également le maintien du lien affectif ou familial.
ll est impossible d’établir de façon pérenne et figée une méthode pouvant être utilisée dans une médiation familiale, tant la diversité de chaque situation impose un chemin unique. Disons simplement que, comme l’ont établi les théoriciens de l’information dans la thérapie systémique familiale (7), il faudra, dans un cadre strict de temps et d’espace proposé par le médiateur, créer un nouveau système de communication dont ce dernier fera partie pour tenter de casser le système existant qui ne produit plus rien de positif. Enfin, dans les cas, minoritaires, où la médiation n’aboutit pas à un accord, les membres du groupe familial n’ont rien perdu, rien cédé.
Dès lors, n’est-ce pas l’approche la plus raisonnable pour résoudre un conflit dans une affaire familiale ?
(1) Three mechanisms for resolving interpersonal conflicts within the family business include litigation, arbitration, and mediation. Study argues that mediation is the only effective method for conflict resolution in family businesses. » Strategic Management of the Family Business : Past Research and Future Challenges
Pramodita Sharma, James J. Chrisman and Jess H. Chua Family Business Review 1997.
(2) Exemples issus de situations réelles
(3) Par exemple, de Antoine à Franck Riboud, de François à Henri-François Pinault, etc. Plus généralement, nombreuses sont les entreprises viti-vinicoles, par exemple, qui ont assuré ainsi la transition pendant plusieurs générations. Citons enfin la banque suisse Lombard Odier, détenue et dirigée par les mêmes familles depuis 1796.
(4) On songe naturellement aux frères Adi (Adolf) et Rudi (Rudolph) Dassler qui donnèrent naissance aux deux géants des chaussures et vêtements sportifs (adidas et Puma, respectivement) qui se faisaient face aux deux bouts du petit village de Herzogenaurach et où se trouvent toujours leur siège social.
(5) Citons aussi, sans la commenter, la dispute entre les cousins Servan-Schreiber ayant abouti, au milieu des années soixante, au démantèlement du groupe de presse familial Les Echos – L’Express.
(6) Voire même deux perdants. Cf. Martin Stepek ; Scottish Family Business Association in Mediation in the Family Business, published by the Law Society of Scotland : « It is said in family business circles that litigation between two or more parties in the same family never leads to winners and losers, only losers. »
(7) Voir notamment : Changements de Paul Watlawick, John Weakland et Richard Fisch, Chapitre 1 ; Ed. Seuil 1975